Le débarquement et la libération de la Provence

Mis à jour le 05/01/2024

À l’occasion du 80ème anniversaire de la libération, retour sur les coulisses et l'histoire du débarquement en Provence avec Frédéric Pédron, directeur des Hauts lieux de la mémoire nationale du Var.

L’idée américaine d’un débarquement complémentaire à celui de Normandie est formulée dès la conférence de Québec, en août 1943. Ce projet propose la tenue en France d’un double débarquement, en Normandie l’opération Sledghammer (Marteau) puis Overlord et en Provence l’opération Anvil (Enclume) puis Dragoon (Dragon).

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A la conférence suivante de Téhéran en novembre 1943, Staline accepte le plan américain. Stratégiquement il espère ainsi que l’ouverture d’un double front en France puisse soulager ces forces tenant le front soviétique et assurant la majeure partie de l’effort de guerre malgré l’ouverture du front italien à l’été 1943. A l’inverse de Churchill, le général de Gaulle soutient également ce plan. Le président Roosevelt finalement décide de suivre la solution du double débarquement. Pour la Provence la date n’est pas alignée à celle de Normandie, elle est finalement fixée au 15 août 1944.

Les forces alliées et l'armée B

Pour la Méditerranée, les forces alliées sont commandées par le général britannique Wilson. Le corps expéditionnaire du général américain Patch est constitué de la 7e armée américaine qui comprend le 6e corps d’armée du général Truscott, la division aéroportée du général Frederick mais surtout l’armée B française placée sous les ordres du général de Lattre de Tassigny. Les troupes françaises constituent le contingent le plus important avec ses 250 000 soldats sur les 350 000 engagés pour ce débarquement.

L’armée B compte ainsi 5 divisions d’infanterie, 2 divisions blindées, 2 groupes de Tabors marocains, un groupe de commandos, un bataillon de choc, des unités de chars, des unités de parachutistes, des troupes dans les services de logistique et d’appui (du matériel, des essences, des transmissions et de la santé).

La Marine française participe avec succès au débarquement de Provence par le biais de ses 34 bâtiments français (dont 3 issus des Forces Françaises Libres) et en y débarquant des fusiliers marins.

Ces forces françaises sont essentiellement constituées des troupes provenant des colonies africaines, des protectorats du Maroc et de Tunisie, ou d’Algérie qui est soumise à la conscription. Elle comprend également des Évadés de France y compris des Outre-Mers, des forces militaires de la France Libre des Caraïbes, du Pacifique et de l’Asie. La constitution de l’armée B est la résultante des corps de l’armée française libre qui avaient combattu, en Afrique du Nord (campagne de Tunisie en 1942), puis en Corse (1943) et en Italie (1944).

L'opération Dragoon

Le soir du 14 août 1944, les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) reçoivent de la radio BBC Londres plusieurs messages codés dont “ Nancy a le torticolis ” pour prévenir du caractère imminent du débarquement et enfin le très attendu dernier message “ le chef est affamé ”, lançant le début des hostilités.

La nuit du 14 au 15 août, les parachutistes et les commandos américains, canadiens, britanniques et français attaquent des points stratégiques de la défense allemande du littoral provençal et en particulier les îles côtières de Port-Cros et du Levant, au large d’Hyères.

Les forces alliées font ainsi face à la 19e armée allemande et ses 250 000 hommes.

photo en noire et blanc de 1944 avec des bateaux militaires accostant sur la plage

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Après une nuit de bombardements aériens et navals intensifs, le 15 août dès 8 heures le débarquement et les combats de libération s’engagent sous le commandement des généraux Truscott et Patch. Il s’organise sur trois secteurs : Alpha à l’Ouest (Ramatuelle-Cavalaire),Delta au centre (Sainte-Maxime) et Camel à l’Est (Saint-Raphaël).

En fin de journée, le constat est simple, les défenses allemandes n’ont pas résisté et surtout 100 000 hommes des forces alliées ont débarqué et établi une percée autour de Fréjus. Les résistants jouent un rôle actif en préparant le terrain par des coups de feu mais surtout en guidant les soldats alliés parachutés ou débarqués.

La libération de la Provence

Les contre-offensives allemandes en particulier à Draguignan ne freinent pas l’offensive massive et rapide alliée. En contrepartie, dès le 18 août Hitler ordonne à la Wehrmacht de quitter le Sud-Ouest et de tenir la vallée du Rhône. Aix-en-Provence est libérée le 21 août, suivi de Salon-de-Provence, Arles et Avignon.

Quant aux ports stratégiques que sont Marseille et Toulon, les forces allemandes repliées sur ces deux villes reçoivent pour ordre de tenir jusqu’à la dernière cartouche.

À partir du 18 août, les bombardiers alliés attaquent à plusieurs reprises la presqu’île de Saint-Mandrier lieu de retranchement des Allemands. La rade et la Ville de Toulon connaissent alors une campagne intensive de bombardements de la part des alliés.

L’Armée B est scindée en deux afin de mener quasi-conjointement la libération de ces deux villes. Ce fait d’arme a été possible grâce à l’élan sans faille et aux initiatives stratégiques des 250 000 hommes des forces françaises de l’armée B.

Le 23 août, résistants et libérateurs alliés se rejoignent dans le centre-ville de Toulon, la ville sera libérée trois jours plus tard, après des combats intensifs menés en partie par la 1ere Division de Marche d’Infanterie, la 3e division d’Infanterie Algérienne, la 9e division d’Infanterie Coloniale, les commandos d’Afrique et le Bataillon de Choc et avec l’aide des FFI. Le Général De Lattre de Tassigny a alors pleinement conscience de l’avancée phénoménale de ses troupes. Il faudra toutefois attendre le 28 août et la capitulation du contre-amiral Ruhfus, réfugié dans les fortifications de Saint-Mandrier pour que la rade de Toulon soit pleinement libérée. 

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Ce même jour à Marseille, le général français De Monsabert reçoit du général allemand Schaeffer, l’acte de capitulation. Elle est le fruit d’une lutte sans faille menée par les Goumiers marocains, les Tirailleurs algériens et les Chasseurs d’Afrique de L’armée B aidés dès le 21 août par les actes d’insurrections populaires encadrées par les FFI.

Le 28 août, de Lattre envoie un télégramme au général de Gaulle : “ [...] aujourd’hui J+13, dans le secteur de mon armée, il ne reste plus un Allemand autre que mort ou captif ”. La Provence est alors libérée majoritairement par l’Armée B et les résistants français.

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Le bilan stratégique et les perspectives politiques

Au 25 septembre 1944, jour de la fermeture de la dernière plage, plus de 324 000 soldats, 68 000 véhicules, 490 000 tonnes de ravitaillement ont été débarqués et 4 259 sorties ont été réalisées le 15 août par l’aviation alliée. Ce bilan illustre le succès de la préparation et de la réalisation du débarquement en Provence.

Les deux ports libérés vont jouer dès lors un rôle logistique et stratégique pour le ravitaillement des armées alliées : plus de 900 000 hommes et 4 millions de tonnes de matériel y transitent jusqu’en 1945.

L’armée B a été le bras armé de la volonté du Général de Gaulle de participer activement à la libération du territoire national. Cette armée symbolise ainsi la diversité, la fraternité d’armes, l’engagement pour une France libre. Ainsi, l’histoire de la libération de la Provence permet d’insister sur le rôle essentiel des troupes coloniales lors du débarquement de Provence d’août 1944 et de la libération du territoire.

L’armée B prendra le nom de 1re armée le 19 septembre 1944. Par décret du 23 septembre 1944, elle sera renforcée par une grande partie des FFI (plus de 137 000 résistants) qui s’intègrent ainsi à ses unités : c’est “ l’Amalgame ”.

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Les succès militaires de l’armée B sont essentiels à l’avenir politique de La France à un double niveau : intérieur, ils permettent d’asseoir et de relancer la renaissance d’un état démocratique et républicain français sans passer par une phase préliminaire d’occupation américaine.

Enfin, du point de vue de la politique extérieure, la France libérée, par ses victoires militaires, se positionne comme un vainqueur à la signature de l’acte de reddition de l’Allemagne dont de Lattre de Tassigny est le représentant à Berlin le 8 mai 1945.

Elle devient également un acteur clé des futures négociations diplomatiques internationales de la future ONU Organisation des Nations unies dont elle deviendra l’un des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité.


Crédits photos :

Photo 1 (entête) : Des navires LCT et LCM débarquent du ravitaillement sur une plage à l'ouest de Saint-Raphaël le 20 août 1944. © National Archives.

Photo 2 : Défilé de la victoire à Toulon pour célébrer le retour de la flotte française au port le 14 septembre 1944. Photographie officielle de l'US Navy, © National Archives.

Photo 3 : Déchargement de navires LCI et LCT sur une plage le 15 août 1944. Photographe : Cuca, © National Archives.

Photo 4 : Des responsables militaires et politiques français passent en revue les troupes à Toulon, probablement en septembre 1944. Photographie officielle de l'US Navy, © National Archives.

Photo 5 : Vue aérienne de la destruction du port et des installations de Marseille. Photographie officielle de l'US Navy, © National Archives.

Photo 6 : La population de Sainte-Maxime accueille une unité de chasseurs de chars français le 16 août 1944. Le véhicule au premier plan est un half-track M3, avec une mitrailleuse de calibre .30 montée derrière le chauffeur. © National Archives.